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Incipit (chapitre
I)
L'assomoir
Introduction
C’est un extrait constituant l’ouverture de L’Assommoir,
c'est à dire qu’il doit tenir compte de certaines contraintes
propres à un début de roman (fournir les informations
et les repères nécessaires au lecteur). On étudiera
donc comment Zola met ici en œuvre les règles de l’incipit
romanesque. La nécessité de procurer des indications au
lecteur est aussi une exigence caractéristique du roman naturaliste
qui veut que le narrateur s’efface et donne l’impression
que les faits sont livrés en toute objectivité. Cette
ouverture est remarquable par la place qu’elle accorde à la
description : celle-ci marque l’effacement du narrateur au profit
d’une délégation de point de vue du personnage,
de plus, elle crée un horizon au lecteur en laissant attendre
un récit conforme aux canons naturaliste. Enfin, cet incipit
naturaliste annonce d’emblée une belle place aux éléments
symboliques.
I/
L’incipit
romanesque
Le
roman commence par "Gervaise", prénom de
l’héroïne, pour attirer l’attention
du lecteur sur le personnage principal. Zola ne
l’appelle
que par son prénom pour paraître au lecteur plus
familière. Sur la même ligne, on a " Lantier " :
le nom est énoncé très vite, ce qui le
rend plus familier également. D’emblée,
l’héroïne et Lantier nous paraissent comme
les personnages importants de l’action, le lecteur entre
dans un univers réel, déjà constitué, " in
medias res ". Il apparaît une absence de description
physique des personnages. Le temps est le plus-que-parfait
qui est le temps de l’antériorité (" avait
attendu "), ce qui exprime que l’action avait déjà commencé.
Gervaise est une femme désespérée : c’est
une femme au foyer, fiévreuse et ayant les joues trempées
de larmes. Elle se sent abandonnée par Lantier, celui-ci
n’étant pas rentré. Il ne paraît
pas au début être son mari mais son amant. Ils
vivent dans un logement à la ville, qui n’est
pas proprement le sien. Zola effectue un gros
plan sur les enfants (scène touchante). Tous ces éléments
créent une tonalité pathétique et sont
une amorce du schéma narratif, car Gervaise doit faire
face à l’abandon de Lantier (situation initiale
du roman). Le détail " brunisseuse " (ouvrière qui polit
le métal) montre que c’est un quartier populaire de Paris.
Gervaise appartient donc au milieu ouvrier. Le boulevard extérieur
est un quartier dangereux de Paris (boulevard de la Chapelle, de Rochechoir).
Gervaise vit donc dans un quartier bien réel de Paris que l’on
appelle la " Goutte d’or ". " Hôtel boncoeur ", " le
grand balcon ", " le Veau à deux têtes ", " Mont
de Piété " : tous ces noms donnent une impression
de réel. II/
L’incipit
naturaliste
Le narrateur s’efface et propose une délégation
de point de vue à son personnage, ici Gervaise. Elle est
dans une attente angoissée : elle guette Lantier jusqu’à 2
h du matin, d’où l’importance du champ lexical
de la vue (guettait, avoir vu, regarder, yeux). Gervaise regarde
l’intérieur de la chambre (focalisation interne), apparaissant
sous une vision panoramique, il y a une délégation
de point de vue de la part de Zola. A la fenêtre, elle est
en surplomb, d’où une situation dominante. Le narrateur
s’efface pour faire croire le lecteur, pour faire plus réel.
L’écrivain naturaliste veut ancrer le récit
dans le réel. D’où l’emploi de modalisteur
: " elle croyait l’avoir vu ".
Gervaise se sent abandonnée, elle est frissonnante et éclate
en sanglots. Elle est seule et ne connaît personne car elle
vient d’arriver à Paris. Ce statut justifie la description
de la chambre. Pour Zola, c’est moins un roman que L’histoire
naturelle et sociale d’une famille ouvrière sous le second
empire, histoire qu’il veut réelle. Ce roman avec prétention
scientifique est fondé sur le principe de l’hérédité.
Pour faire réel, il y a un bref retour en arrière pour
indiquer le caractère authentique : Gervaise a un passé (c’est
une garantie pour le lecteur) exprimé par des noms homographiques
de Paris (" Veau à deux têtes ", seul lieu
inventé, " Grand balcon ", balcon célèbre
qui a existé dans ce quartier de Paris avant 1860. Les masses
populaires étaient rejetées à la périphérie
de Paris. Zola effectue une description de la chambre pour faire plus
réel (misérable, garnie (=meublée) ce qui signifie
qu’elle n’a pas de bien propre). Son mobilier est une
commode, rois chaise, une table, un lit de fer, une malle. Le champ
lexical du manque et du laisser aller apparaissent dans ce texte : " table
où le pot à eau ébréché traînait ", " un
tiroir manquait ", " un chapeau d’homme enfuit sous
des chaussettes sales ". Le laisser aller de Gervaise est présent
: elle est en chemise et en savates. Toute cette description s’accompagne
du champ lexical de la misère (lambeau, flèche attachée
au plafond par une ficelle, châle troué, les dernières
nippes)
L’univers de Gervaise est comparable à celui que Zola
a connu (il a vécu dans un hôtel misérable), Zola
est donc ici quelque peu metteur en scène : il plante un décor
pour montrer comment vivaient les ouvriers. Mais la description zolienne
n’est jamais une plate description de la réalité.
Zola essaie de concilier le réel et le tempérament (notion
scientifique). Néanmoins, il met son talent au service. (" Une œuvre
d’art est un point de création vue à travers un
tempérament ") La seule couleur est le rose tendre, clin
d'œil ironique de Zola semblant optimiste, mais montrant le thème
de l’endettement progressif.
III/
La description symbolique
Dans le début du roman, on trouve des images que l’on
retrouve dans le reste du roman.
Il apparaît une opposition entre le rouge (sang, passion,
enfer, lit de vin) et le noir (deuil, mort, inconnu). Gervaise vit
dans un espace clos dont les barrières sont le boulevard de
la chapelle et la poissonnerie. Elle est enfermée entre l’abattoir
(qui mène à la mort), l’assommoir (qui mène à l’alcool
puis à la mort) et l’hôpital (qui mène à la
maladie puis à la mort). Le substantif " muraille renforce
cette idée d’enfermement. Zola construit un espace symbolique
de la vie de Gervaise et de celle des ouvriers du XVIII° siècle.
Gervaise vit dans un espace sinistre, dangereux,
où l’on
tue les gens : c’est un quartier ouvrier , meurtrier, délinquant.
L’espace est peuplé de forces hostiles : chez Zola, le
monde est animalisé (" flancs vides ", " bêtes
massacrées "), le verbe " manger " exprime le
destin de Gervaise, elle va être mangée par les autres, être
la proie de cet univers.
Gervaise va s’autodétruire, car elle
est victime de sa paresse, de la crasse, de la boue, du linge sale
et de la graisse
(elle va grossir).
Dans l’univers du monde ouvriers, les hommes sont des animaux
: la masse des ouvriers est comparée à un troupeau,
dont Gervaise fait partie. Ce sont des bêtes de somme.
L’alcool assomme les hommes, il les mène à un
univers menaçant, agressif, mangé par la boue. Conclusion
Cet incipit propose la confrontation d’un personnage et d’un
espace et contient déjà les images et les thèmes
principaux du roman. La qualité de récit va se faire sur
les effets d’échos et de rappels. C’est ainsi que
dans le Ch. 12, elle va se prostituer, et se retrouver devant l’hôtel
Boncoeur (la boucle est bouclée). Cette structure circulaire
du récit renforce le caractère clos de l’espace
et souligne l’enfermement du personnage dans une situation sans
issue autre qu’une mort misérable.
Liens connexes
Biographie
de Zola
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