Sonnets à Hélène
Introduction
Prendre conscience du temps qui conduit à évoquer la
vieillesse, c'est ce que fait Ronsard dans ce sonnet adressé à Hélène.
Si elle se reconnaît dans l'image cruelle d'une jeune femme nostalgique,
elle comprendra qu'il faut profiter du présent. La vie humaine
est aussi br ève que celle des roses.
On pourra analyser successivement :
I. L'originalité de la demande amoureuse.
II. La célébration de la poésie
I/
Originalité de la demande amoureuse
..1.
Une image peu flatteuse
Sa beauté est passée. Ce sonnet a été écrit
pour Hélène, or il ne cherche pas à la célébrer
mais lui renvoie plutôt une image peu flatteuse d'elle même.
Sa beauté n'apparaît qu'à l'imparfait « Ronsard
me célébrait du temps que j'étais belle » (v.4).
Son dédain. Au moral non plus, Hélène n'est pas célébrée.
Son attitude en face de Ronsard est évoquée pour être regrettée.
Elle apparaît en effet dans une attitude de dédain en face de
l'amour qui lui est offert « regrettant mon amour et votre fier dédain » (v.12).
Sa vieillesse, non sans une certaine cruauté, Ronsard préfère
envisager l'heure des souvenirs mélancoliques. A deux reprises, il se
plaît à faire envisager à Hélène sa vieillesse
: « Quand vous serez bien vieille » (v.1), « vous serez au
foyer une vieille accroupie » (v.11).
..2.
La précision de la scène
Au vers 1, les circonstances : "au soir", "à la
chandelle", qui permettent d'imaginer la scène ne manquent
pas de douceur. En effet, l'heure choisie s'accorde avec l'âge
et la chandelle (éclairage réservé aux riches
du XVIème siècle) rappellent discrètement l'aisance
matérielle d'Hélène.
L'évolution vers la familiarité : L'adjectif vieille n'était
au vers 1 qu'un attribut d'Hélène et non sa caractéristique
essentielle. Au vers 11, Ronsard y substitue le substantif "une vieille" signifiant
qu'Hélène n'a plus d'autre qualité que la vieillesse.
Au même vers 11 s'achève le tableau avant l'apostrophe finale
: « Vous serez au foyer une vieille accroupie ». Le participe passé "accroupie" apparaît
brutal. Il est resté en quelque sorte l'écho réaliste
du participe "assise" du vers 2. Ce qui confirme cette idée,
c'est que le groupe de mots "au foyer" reprend l'expression "auprès
du feu".
Ronsard est donc devenu plus cynique. De plus, la douceur du rythme initial
bien cadencé « Quand vous serez bien vieille / au soir, à la
chandelle » a disparu au vers 11, alexandrin d'une seule traite.
La solitude d'Hélène : En outre, la vieillesse d'Hélène
ne se trouve nullement douce : Sa vie parait au contraire particulièrement
monotone. D'abord parce que Ronsard a l'habileté de la présenter
seule et non entourée d'enfants ou petits enfants. La seule présence
que l'on perçoive autour d'elle est celle des domestiques.
La monotonie de sa vie : En outre, la vie d'Hélène semble bien
monotone. Le rythme des vers 2-3 coupés à l'hémistiche
donne l'impression d'une vie trop bien réglée qui ne manque pas
de susciter le regret du passé.
..3.
La nostalgie
Les formes du regret. Le participe "regrettant" au
vers 12 a un double sens : Il signifie à la fois éprouvant
de la nostalgie à l'égard de mon amour pour vous et
regrettant de ne pas y avoir répondu. Ce regret, Ronsard se
plait à le faire durer en employant les participes présents
chantant et vous émerveillant. Transférés à la
servante, les participes présents du second quatrain jouent
le même rôle nostalgique : « Qui au bruit de mon
nom ne s'aille réveillant »
La projection dans le futur aux vers 13 et 14. Le
poète lance à Hélène
son appel : « Vivez si m'en croyez. » (v.13-14). Dans ces deux
vers, il ne cherche pas à montrer que la beauté actuelle d'Hélène
contredit à l'annonce de sa décrépitude : omettant de
lui redire qu'elle est belle (adj. belle au passé) comme s'il voulait
par là qu'Hélène prenne bien conscience du caractère
fugitif de sa beauté. C'est parce que cette beauté est éphémère
qu'elle a besoin de la poésie de Ronsard.
II/
La célébration de la poésie
..1.
La présence du poète
D'une part, Ronsard se consacre à peu près autant de
vers qu'à Hélène.
D'autre part, il a soin de ne pas se mettre en scène au moment
crucial de sa vieillesse.
De plus, alors qu'Hélène n'a pas droit à être nommé dans
ce poème (elle n'acquerra ce droit que si elle cède à l'amour
de Ronsard), le poète se cite deux fois.
..2.
Une mort très douce
Plus que sa vieillesse, c'est son fantôme qu'il met en scène et
sa mort même semble légère. Là où Hélène était
accroupie, Ronsard se repose parmi des arbres consacrés à Vénus.
Certes le poète meurt, mais il continue à vivre dans les mémoires.
Chacun sur terre se souvient de lui, Hélène bien sûr : « Direz
chantant mes vers » (v.3) mais encore l'ensemble de ses servantes se souviennent
de Ronsard. L'expression « lors vous n'aurez servante » (v.5) a un
caractère absolu. Elle signifie toutes les servantes. Ronsard est au cour
du dialogue qu'il imagine entre Hélène et ses servantes, et c'est
la force de son seul nom qui les tire de leur somnolence.
..3.
Le nom de la gloire
L'orgueil du poète ici ne manque pas de finesse puisqu'il envisage
sa gloire pour la faire rejaillir sur Hélène : « bénissant
votre nom de louange immortelle » (v.8). Ne pouvant plus célébrer
Ronsard mort, la servante transfert son admiration à celle qui lui a inspiré des
poèmes, ce qui permet à Ronsard, écrivain de ce texte, de
célébrer Hélène.
Ainsi Ronsard a vaincu la mort. Au nom de la poésie Hélène
devrait donc répondre de son amour : « Vivez si m'en croyez, n'attendez à demain ». Conclusion
De façon inattendue, Ronsard mêle deux thèmes communs
: d'une part l'épicurisme et la poursuite du bonheur, d'autre
part l'immortalité que prodigue la poésie. Ce poème
est une forme de provocation puisque Ronsard projette par Hélène
une vision réaliste de son avenir mais il est aussi un appel à vivre
le présent pour vaincre la mort (Carpe diem).
Liens connexes
Biographie
de Ronsard
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