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Quelles
raisons peuvent pousser quelqun à écrire
son autobiographie?
Introduction
Une autobiographie est selon Philippe Lejeune « un
récit rétrospectif en prose qu'une
personne réelle fait de sa propre existence ».Ce
genre littéraire pratiqué par Montaigne
depuis le seizième siècle s'est surtout
développé au dix huitième
siècle avec Rousseau qui lui a donné ses
lettres de noblesse. Notre époque apprécie
ce genre littéraire : un homme célèbre,
un romancier reconnu, parfois même un simple
citoyen sont amenés à prendre leur
plume pour parler d'eux, raconter leur vie. On
peut alors s'interroger sur les raisons qui peuvent
pousser quelqu'un à écrire son autobiographie.
Est-ce pour parvenir à la connaissance de
soi ? Est-ce pour faire échec au temps et à l'oubli
en gardant la mémoire du vécu ? Est
ce pour faire oeuvre poétique en rendant
compte de la singularité d'une existence
?
Développement
Dans une première partie, nous éclaircirons le fait que l'autobiographie
favorise la connaissance de soi.
D'une part, le dialogue avec soi même, une sorte d'examen de conscience,
permet de s'analyser de dresser son propre portrait. Rousseau par exemple,
dans Les confessions raconte un épisode précis de son adolescence
où il a volé une pomme. En tant qu'adulte à l'heure
où il écrit, il se présente comme un adolescent qui
a persévéré dans le mal. L'écriture de son autobiographie
lui a permis de prendre de la distance par rapport à son acte, il
y pose un regard analytique ; ce vol qu'il a commis et qui fut durement sanctionné le
poussa à continuer : « [...] à force d'essuyer de mauvais
traitements, j'y devins moins sensible ; ils me parurent enfin une sorte
de compensation du vol, qui me mettait en droit de continuer ». Il
valorise son portrait de voleur avec le registre épique pour montrer
son ingéniosité pour attirer la sympathie du lecteur. Montaigne,
dans ses Essais, pose une question rhétorique qui est : «...ai-je
perdu mon temps de m'être entretenu tant d'heures oisives à pensements
si utiles et agréables ? ».Il y a ici un jeu de question-réponses
car il argumente et répond. Un paradoxe est également présent
car il affirme qu'écrire son oeuvre n'a pas été perte
de temps, mais que cela aurait pourrait être inutile s'il n'avait pas
de lecteur. Pour lui, écrire est aussi un divertissement qui le libérerait
de l'ennui, un divertissement agréable qui garantit une autonomie.
Nous avons donc ici, un examen de conscience avec Rousseau, qui dresse son
portrait de voleur, et un dialogue que Montaigne a avec lui-même.
D'autre part, Rousseau se montre être un écrivant « fidèle »,
en faisant un pacte autobiographique ; il ne se déguisera pas, il
dira toute la vérité comme il est dit dans le préambule
du Manuscrit de Neufchâtel: « Je me suis montré tel que
je fus, méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux
sublime, quand je l'ai été ; j'ai dévoilé mon
intérieur [...] ».Ici Rousseau ne cache pas son erreur, comme
nous le prouve la citation qui suit, qui figure dans Les Confessions : « il
faut faire ces aveux ou me déguiser ; car si je tais quelque chose
on ne me connaîtra sur rien ».Intervient donc ici l'idée
de déguisement avec son champ lexical : « me déguiser », « dévoiler », « je
me farderais », « la bigarrure »...Rousseau envisage la
possibilité d'un travestissement, il va par la suite rejeter cette
possibilité. Il montre ici, une image de lui critique et authentique,
il s'explique, se justifie pour enfin s'analyser. Son projet est didactique,
il veut se montrer comme modèle, comme exemple, mais il y a une contradiction
car il se prétend unique...L'engagement de sincérité de
Rousseau est véritable, le but de l'oeuvre est de faire connaître
qui il est vraiment au plus profond de lui-même « intus, et in
cute » ; à l'intérieur et sous la peau. Ceci annonce
une franchise absolue, des révélations des plus intimes.
Enfin, nous allons présenter la fonction carthatique de l'autobiographie.
La catharsis est le fait de se purifier, de se libérer de ses émotions
(ce qui était possible dans l'antiquité grâce au théâtre).
Prenons le cas de Pascal Jardin, dans un extrait du Nain jaune. L'écriture
du deuil, permet à son auteur de se soulager de se libérer
de l'emprise de son père défunt, mais d'un autre coté ressusciter
ce dernier par l'écriture. Ecrire pour lui est un tout qui lui permet
de rendre hommage à son père, de maintenir un lien, ne pas
l'oublier, mais également de renouer un lien avec celui-ci. Un passage
nous montre cela dans l'extrait du texte : « J'écris ce livre
pour rompre, puis pour renouer, et me retrouver tel qu'en espérances
de mes vingt ans ».Il écrit donc pour « rompre » ;
devenir indépendant, « renouer » ; se faire revivre et
comprendre qui il est vraiment. L'autobiographie favorise donc la connaissance
de soi par l'examen de conscience, la justification d'actes commis, la remise
en question, et le soulagement de lourds traumatismes.
Dans une deuxième partie nous étudierons la reviviscence
(fait de reprendre vie, de renaître) des moments de bonheur et
l'accès à l'éternité.
Tout d'abord, il y a la réactualisation des moments de joie,
une sorte de tentative pour lutter contre le temps qui passe. Nous prendrons
comme appui l'extrait de texte de Nathalie Sarraute, Enfance. Dans ce
texte, elle fait revivre un moment singulier de son existence. Elle
découvre sa perception de la beauté à travers sa
perception du monde qui lui donne une sensation d'exister : « une
sensation d'une telle violence qu'encore maintenant, après tant
de temps écoulé, quand, amoindrie, en partie effacé elle
me revient [...] ». L'accent est donc mis sur la façon
dont ce souvenir de « bonheur », d' « extase »,
revient telle une réminiscence ; souvenir se rappelant à l'esprit,
mais non identifié comme tel.
Ensuite nous nous appuierons sur l'extrait de texte
de Pascal Jardin, Le nain jaune, pour démontrer que l'autobiographie
peut également rendre hommage au défunt. Jardin en fait
un ici, qui est celui de son père, qu'il considérait comme
sa moitié : « Nous étions toujours ensemble [...]».
Avec ce décès, l'auteur a perdu une partie de son identité.
Il démontre clairement qu'il était dépendant de
son père par une métaphore ; il s'identifie lui-même à un
frelon qui aurait besoin des essences d'un acacia qui serait son père,
pour vivre, se nourrir. Lors du dixième paragraphe, il nous fait
comprendre que son père était son point de repère,
comme l'étaient les pierres du petit poucet : « le bruit
de leur causerie que je ne comprenais pas tombaient vers moi comme les
cailloux blancs chers au petit poucet ». Nous avons donc ici,
une véritable réécriture du passé, qui est
amplifiée par le registre lyrique qu'utilise Pascal Jardin. Par
ce texte, il conserve la mémoire de son père, qui restera
une figure marquante de son passé.
Dans une dernière partie, nous verrons que l'autobiographie est
aussi oeuvre d'art.
Prenons pour exemple Rousseau. L'écriture de sa vie permet de
donner forme à l'informe. Il y a l'expression d'une difficulté,
dans le préambule du Manuscrit de Neufchâtel lorsqu'il écrit
: « car quel ton, quel style prendre pour débrouiller ce
chaos immense de sentiments si divers, si contradictoires, souvent si
vils et quelque fois si sublimes dont je fus sans cesse agité ? ».Rousseau
place ici une antithèse lorsqu'il oppose « vils » et « sublimes » ce
qui fait transparaître la difficulté, la complexité du
style, style qui est contradictoire. La difficulté est ici de
débrouiller ce « chaos », il essaye d'éclaircir
toutes ces contradictions. Il doit donc adopter un nouveau style. Rousseau
passe donc ici de l'abstrait au concret, de l'irrationnel au rationnel,
il élucide les mystères du « moi ».
Par la suite, certains auteurs tels Rousseau ou Montaigne
créent un lien avec le lecteur, lui donnent une place dans leurs
oeuvres. Par exemple, Rousseau demande au lecteur de le lire entièrement
avant de le juger, on ne pourra le juger que si on tient compte de tout.
Pour lui il suffit d'avouer sa faute au lecteur pour qu'elle soit pardonnée,
le fait de dire la vérité va l'innocenter. Il ne cherche
qu'à impressionner le lecteur, il se montre tellement sûr
de lui, que l'on est obligé de le croire. Comme il le dit dans
le livre VIII de ses Confessions « c'est à moi d'être
vrai, et au lecteur d'être juste ».Montaigne lui, dans le
préambule des Essais, utilise la deuxième personne pour
désigner le lecteur : « Il t'avertit dés l'entrée
que je ne m'y suis proposé aucune fin [...]» et « Ce
n'est pas raison que tu emploies ton loisir... ». Il s'adresse
donc directement et familièrement au lecteur. Il s'adresse à ceux-ci
pour définir les objectifs qu'il s'est fixé, pour définir
ses intentions, pour lui démontrer finalement que cela n'en vaut
pas la peine. L'emploi du pronom « nous » dans le livre
II des Essais, rappelle qu'il s'intéresse à l'humaine
condition ; « Nature nous a étrennés d'une large
faculté à nous entretenir à part, et nous y appelle
souvent pour nous apprendre que nous nous devons en partie à la
société [...] ».Il y a donc ici, chez Rousseau comme
chez Montaigne, une véritable prise en compte très précise
du lecteur.
Conclusion
En faisant son autobiographie, un auteur se fait déjà plaisir à lui-même
car il arrive à mettre des mots sur une vie entière. Ce
qui est déjà un exercice difficile mais en même temps
une découverte de soi-même. Cependant, on peut aussi imaginer
que le fait d'écrire une autobiographie puisse permettre à tout
homme de laisser une trace indélébile de son histoire pour
sa descendance mais également pour l'histoire en général.
Grâce à un tel écrit l'auteur devient en quelque sorte « immortel ».Et
n'est-ce pas le fantasme de tout être humain ?
Liens connexes
Dissertation:
L'autobiographie, peut on vraiment tout dire?
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