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Ravage
Présentation
Paru en 1943, en pleine guerre, chez Denoël,
Ravage est le premier livre de René Barjavel,
qui a connu immédiatement un succès
foudroyant. Pour le présenter, nous laisserons
la parole à l'auteur lui-même, en
reproduisant une partie de l'interview qui figure
au début d'une réédition publiée
en 1974 par les éditions Rombaldi, dans
la belle collection Bibliothèque du temps
présent. En noir, les questions posées à l'auteur,
en bleu ses réponses.
"La catastrophe qui se produit dans le roman a-t-elle été inspirée
par les événements de l'époque ? En 1942, en effet,
on était "au plein" de la Seconde Guerre mondiale.
Plus que la guerre qui était alors en cours, c'est le chemin
pris par notre civilisation qui m'a fait prévoir la catastrophe
de Ravage. Si je l'écrivais aujourd'hui les péripéties
en seraient peut-être différentes, mais le ton général
ne changerait pas. Et je situerais le désastre beaucoup plus
près de nous...
On peut, à la lecture, avoir l'impression que les propos tenus
par l'empereur noir Robinson – et l'offensive qui les a suivis – peuvent être
assimilés au comportement de Hitler avant le (et au moment du)
déclenchement du dernier grand conflit mondial. Est-ce que cette
assimilation a été volontaire de votre part ?
Oui, cette silhouette lointaine et menaçante de l'empereur noir
voulait rappeler les terribles mois de 1938 (Munich) et 1939, où Hitler
faisait peser sur l'Europe le poids effrayant de sa voix. Il n'y avait
pas encore la télé et on entendait cette voix sauvage, à laquelle
on ne comprenait rien, qui tombait du ciel dans les haut-parleurs – ceux
qui n'avaient pas de poste allaient écouter ses discours au café ou
parfois même sur la place de la mairie – comme celle d'un
démon noir qui faisait le bruit de la haine et de la mort. Si
bien que la guerre nous apporta le soulagement. On se dit : "Enfin
nous allons en finir avec ce fou !" Nous étions persuadés
que nous serions de retour dans trois semaines. On
nous avait tellement dit qu'il n'avait que des tanks en carton...
Ravage tient une place de choix parmi les ouvrages de
science-fiction. Vous en avez écrit d'autres de la même veine, notamment
la Nuit des temps et le Grand Secret. Qu'est-ce qui vous a incité à vous
lancer dans ce qu'on désigne maintenant par un sigle, la SF,
comme on le fait d'ailleurs aussi pour la bande dessinée, la
BD ?
Le désir d'échapper au traditionnel roman d'analyse psychologique.
Aux "états d'âme". A la "littérature".
Les drames, les comédies, les tragédies même, personnelles,
familiales, nous les vivons, nous sommes plongés dedans chaque
jour, saturés, submergés, glouglou... Je n'ai aucune envie
de les retrouver dans les livres, ni ceux des autres ni les miens. La
SF permet d'ouvrir des fenêtres vers tous les horizons du temps
et de l'espace et de s'intéresser à de vastes problèmes
qui concernent non plus tel ou tel couple ou trio, ou quatuor, dans
ses exercices toujours recommencés, mais l'espèce humaine
tout entière. C'est le sort des hommes qui m'intéresse,
non celui d'un seul.
Beaucoup de gens considèrent encore la science-fiction comme
une littérature de deuxième zone ; le roman policier est
aussi souvent victime de la discrimination qui classe à un niveau
inférieur cette "paralittélature". Que pensez-vous
de ce jugement assez répandu ?
La SF est méprisée en France par les petites chapelles
littéraires confites dans l'autosatisfaction et le rare fumet
des faibles tirages. Mais le grand public va vers elle de plus en plus
car elle lui apporte autre chose. Malheureusement, il y a en SF, comme
dans la littérature traditionnelle, une grande majorité de
mauvais écrivains. Et c'est sur eux que les dénigreurs
jugent tout l'ensemble. Mais il y a aussi des génies. Je pense à un
grand nombre d'auteurs américains, ou à Stanislas Lem
ou à de rares Soviétiques. La SF n'est pas un genre littéraire.
C'est une nouvelle littérature, qui comprend tous les genres
: satirique, lyrique, psychologique, poétique, et surtout épique.
Asimov et Van Vogt en particulier ont ressuscité l'épopée,
morte depuis le Cycle d'Arthur. C'est toujours par l'épopée
qu'une littérature commence.
Lorsque vous décrivez la façon de vivre des gens de 2052,
leur habitat, leur alimentation, leurs transports, vous avez certainement
fait œuvre d'imagination, mais peut-être aussi vous êtes-vous
appuyé sur les progrès prévisibles de la science.
Quelles sont les parts respectives de la pure invention
et de la futurologie raisonnable ?
Je prends grand soin de ne rien écrire qui ne soit un jour vraisemblablement
réalisable si on suit le strict sentier de la logique. Mais la
science nous étonne toujours. Elle va plus vite que nous, et
sur des sentiers imprévisibles. Toujours l'inattendu arrive.
Aucun auteur de SF n'avait prévu la lumière cohérente
et ses conséquences : le laser et l'hologramme. Mais ils en font
un grand usage depuis... Je me tiens au courant – autant qu'il
est possible – des découvertes scientifiques, et celles
que j'invente aujourd'hui seront certainement réalisées
un jour, car elles restent dans le domaine du possible. Sauf peut-être
le scaphandre du temps du Voyageur imprudent.
Consultez également une fiche de lecture de Ravage sur Fichesdelecture.com
Liens connexes
Biographie
de Barjavel
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