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En
quoi le théatre vous semble-t-il une chose tout à fait
différente de la littérature?
Introduction
Comme le roman, le théâtre contient
histoire, idées et personnages, mais il
les présente d'une manière spécifique.
Une pièce de théâtre est constituée
par une histoire qui est, non pas racontée
comme dans un roman, mais reproduite à travers
les paroles directes des personnages .Le théâtre
utilise un langage spécifique : au lieu
de raconter ce qui s'est fait ou dit, comme dans
un récit, il le représente directement
sur la scène. On peut alors s'interroger
sur la mesure dans laquelle le théâtre
peut sembler « une chose tout à fait
différente » de la littérature.
Pour cela nous démontrerons, tout d'abord,
que le théâtre est un genre à part
pour ensuite étudier la parole théâtrale
et en déduire que le théâtre
et la littérature sont deux genres divergents.
Développement
Le théâtre s'oppose tout d'abord à la littérature
par son originalité. Il se distingue avec situation d'énonciation,
et action et temps qui sont assez singuliers en comparaison de la littérature
ordinaire.
En effet, différents types d'énoncés peuvent être
distingués par la typographie et la mise en page, comme les didascalies
qui indiquent au lecteur les informations relatives aux lieux comme dans
le texte de Musset On ne badine pas avec l'amour (1834) où est indiqué « Une
place devant le château » lors de la scène première,
aux gestes, comme dans le texte de Ionesco Rhinocéros (1959) où Bérenger « se
précipite dans l'escalier », aux intonations comme dans Antigone
d'Anouilh le garde « geule » à la scène 8, et parfois
aux costumes, le tout en italiques. Les costumes sont hautement représentatifs
et signifiants. Tantôt ils renvoient à une époque précise
ou à l'inverse sont intemporels comme dans Antigone d'Anouilh (1944)
les gardes portent des gabardines qui font penser à celles des agents
de la Gestapo, bien que l'histoire se déroule dans l'antiquité.
Dans un texte littéraire typique et ordinaire tout ces éléments
ne sont généralement pas indiqués, contrairement au
théâtre ce qui permet au lecteur de se faire une véritable
idée et de se situer la pièce intégralement.
Au théâtre, l'unité d'action est découpée
en actes et en scènes construits selon un principe de continuité logique
et temporelle. En général, toutes les pièces de théâtre
comportent cinq actes. L'unité d'action structure la pièce
complète autour de quatre temps forts : tout d'abord l'exposition,
ensuite le noeud dramatique, les péripéties et le dénouement.
Parfois certains écrits littéraires comme les récits
biographiques n'offrent pas autant de rebondissements dans leurs écrits,
mais on peut voir tout de même une légère similitude
entre le théâtre et les textes d'aventures qui offrent le même
schéma narratif. Certaines oeuvres théâtrales offrent
un schéma de la comédie au début du livre pour que le
lecteur cerne correctement l'histoire comme dans Le malade imaginaire de
Molière, où l'édition précise le nom des personnages
et leurs rôles dans la pièce. Au contraire dans la littérature
classique c'est au lecteur de comprendre le texte et de le découvrir.
Pour l'unité de temps quant à elle, il faut distinguer le temps
de la représentation, c'est-à-dire la durée effective
du spectacle et le temps de l'histoire vécue par les personnages.
Par exemple, la pièce Antigone d'Anouilh dure en temps réel
une journée et une éventuelle représentation ne pourrait
pas égaler cette durée.
Un spectacle théâtral dure quelques heures mais les évènements
qui sont racontés peuvent s'étendre sur plusieurs années.
Les échanges verbaux tenus devant les spectateurs s'enchaînent
en temps réel à l'intérieur d'un acte dans le théâtre
classique ; les baissers de rideau qui séparent les actes correspondant à une
ellipse temporelle de quelques heures, qui peut être allongée
de quelques années dans le théâtre plus récent
; l'auteur procède comme s'il découpait des tranches de vie
; le baisser de rideau peut aussi permettre de changer de lieu.
Les indications de mise en scène (didascalies), destinées à informer
les lecteurs et metteurs en scène, ne sont pas prononcées lors
d'éventuelles représentations. Elles sont constituées
du nom des personnages, des explications concernant le décor, les
gestes, les entrées et les sorties de scène, le ton de la voix.
Les conditions matérielles de la mise en scène la présence
physique des personnages incarnés sur scène par les comédiens
conditionnent l'interprétation du dialogue. Soulignant ou contredisant
le sens des paroles, l'apparence, les gestes et le ton de la voix sont des éléments
significatifs, précisés explicitement dans les didascalies
ou suggérés par le texte des répliques. Ainsi, le lecteur
d'une pièce de théâtre peut par le biais de ces didascalies
se représenter la scène, la pièce, l'accoutrement des
personnages, leurs expressions, leurs gestes etc... ce qui permet de mieux
comprendre l'action. Comme dit Ionesco : « mon texte n'est pas seulement
un dialogue mais il est aussi « indications scéniques ».
Ces indications scéniques sont à respecter aussi bien que le
texte, elles sont nécessaires ». Dans la pièce Rhinocéros
de ce dernier, lors de l'acte deux, scène deux, l'emploi des didascalie
est assez utile et beaucoup présent, chaque détails est transmis
au lecteur grâce aux didascalies comme « on voit s'ouvrir le
haut de la porte de la loge de la concierge ; apparaît une tête
de rhinocéros », ou encore « Bérenger remonte à toute
allure les marches de l'escalier ». Dans la littérature ces
genres de détails sont pris en charge par la narration, mais cela
créé une sorte de décalage entre le récit et
l'action tandis qu'au théâtre ce décalage n'apparaît
pas ce qui fait son originalité.
Le dialogue théâtral se caractérise cependant par
des éléments spécifiques. L'énonciation
théâtrale permet aux lecteurs de comprendre certains détails
de plus qu'ils n'en auraient compris dans un roman
classique.
En effet, le dialogue théâtral se caractérise par
des éléments spécifiques. Les répliques
de destinataire s'adressent explicitement aux différents personnages
qui sont face à face sur la scène. Mais au théâtre,
toutes les répliques ont aussi un second destinataire, le public
ce qui forme donc une double énonciation. Il y a aussi la tirade
qui est une longue réplique prononcée sans interruption,
qui implique un approfondissement de l'échange et coïncide
avec un ralentissement du rythme comme la tirade de Théramène,
dans Phèdre de Jean Racine lors de l'acte cinq, scène
six. La stichomythie quant à elle est une succession de courtes
répliques de longueur identique et syntaxiquement symétriques,
traduit au contraire un affrontement entre personnages et entraîne
une accélération du rythme. Un exemple assez parlant des
stichomythies est celui de l'échange entre Antigone et Créon
dans Antigone de Sophocle :
Créon - « Toi seule pense ainsi parmi les Cadméens. »
Antigone - « Ils pensent comme moi mais ils tiennent leur langue. »
Créon - « Et toi, tu n'as pas honte à te distinguer
d'eux ? »
Antigone - « Je ne vois pas de honte à honorer un frère »
Le passage d'une réplique à une autre peut se faire :
par continuité, c'est-à-dire par une reprise syntaxique
ou lexicale ou un jeu de question-réponse, par rupture comme
un refus de répondre ou un changement du thème de la conversation.
La parole théâtrale relève de ce qu'on appelle en
linguistique une double énonciation : à un premier niveau,
les paroles prononcées sont des messages que les personnages échangent
entre eux. A un deuxième niveau, l'ensemble des paroles prononcées
est un message adressé par l';auteur au spectateur ou au lecteur.
Cette situation de communication particulière est à l'origine
de certains usages, tel celui de doubler les personnages principaux
par des confidents dans la tragédie classique. Les propos que
tient le personnage à son confident sont un moyen pour le dramaturge
d'informer le spectateur. Ce procédé est souvent utilisé dans
les scènes d'expositions :
«
Elvire, m'as-tu fait un rapport bien sincère ?
Ne me déguises-tu rien de ce que t'a dit mon père ? »
Demande Chimène à sa confidente dans Le Cid de Corneille,
acte premier, scène première. Ces questions vont mener
Elvire à donner toutes les informations nécessaires à une
bonne compréhension de l'action. De même, dans Bérénice
de Racine, c'est à l'occasion d'un bref entretien entre Antiochus
et son confident Arsace, acte premier, scène première
que le spectateur est rapidement mis au courant de la situation au moment
ou commence la pièce. C'est la double énonciation qui
justifie encore la convention et l'usage de l'aparté, réplique
prononcée par un personnage pour les spectateurs à l'exclusion
des autres personnages.
Le théâtre et la littérature semblent en effet être
deux genres assez contrastés. Les réécritures de
la pièce de théâtre au roman nous montrent ces antagonismes
et la façon de narrer est différente voire absente au
théâtre.
En effet, la réécriture est un exemple typique comme celui
des nombreuses réécritures du texte Antigone de Sophocle.
La transposition formelle qu'effectue Henri Bauchau dans son Antigone
lors du chapitre "Le tribunal" est à l'image de notre
démonstration. Dans le texte original, l'affrontement entre la
jeune fille et le représentant du pouvoir ne se passe pas dans
un tribunal et l'échange est d'autant plus virulent que dans
le texte de Bauchau la violence des propos est quasi-inexistante. La
dissimilitude des deux extraits est frappante ce qui nous conforte dans
l'idée que la littérature et le genre théâtral
sont dissemblants comme le sont le jour et la nuit. Aussi, pour représenter
la pièce sous forme de film, un réalisateur aurait moins
de difficultés à savoir comment positionner ses acteurs
selon les didascalies qui lui sont indiquées. Toujours avec Antigone,
en regardant l'adaptation filmique on observe quasiment pas de différences
entre le texte et le film. A l'inverse, si on prend l'exemple d'un roman
de littérature comme La Jeune fille à la perle de Tracy
Chevalier et son adaptation filmique, on peut noter plusieurs antagonismes
d'autant plus que certaines scènes sont coupées, on peut
croire que le réalisateur a pu éprouver certaines difficultés à faire
transparaître à travers le film le livre tel qu'il l'est à la
source.
De plus, dans un texte de théâtre, il n'y a pas de narration
car celle-ci est prise en compte par les didascalies. A l'inverse dans
un roman comme celui d'Henri Bauchau, certains passages narratifs peuvent êtres
confondus à des didascalies ou tout du moins en font le même
usage comme « Créon se tourne vers le groupe incertains
des vieillards », « Il se tourne vers ses assesseurs »,
ou encore « le personnage crispé de Créon proclame ».
Cette différence nous conforte dans l'idée que ces deux
genres sont bien opposés. Dans une pièce de théâtre
comme celle de Ionesco Rhinocéros, les didascalies sont tellement
présentes qu'elles font presque office de narration.
Conclusion
La littérature et le théâtre semblent être
deux genres opposés. Le théâtre se distingue grâce à une
originalité bien plus aiguisée que la littérature,
cependant la littérature reste le mouvement fondateur. Malgré ces
antagonismes forts, ces deux genres restent toutefois complémentaires
car l'un peut être la mise en acte de l'écriture contenue
dans l'autre.
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