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Le convoi funèbre
de Goriot
Le père Goriot
De "Les deux prêtres" à "madame
de Nucingen. "
Introduction
Dans les pages précédentes, le narrateur
a raconté la mort du père. Il a insisté sur
la solitude de cette agonie : au retour de la soirée
chez madame de Beauséant, Eugène a trouvé Goriot
mourant. Christophe envoyé auprès des filles
pour un secours d’argent n’obtient rien, Anastasie
est en conférence avec son mari, Delphine dort. Les
longues plaintes du père désignent l’objet
de son mal : « Ne pas les avoir, voilà l’agonie » (page
350). Eugène effectue alors une démarche vers
chacune d’elles, vainement. Anastasie seule viendra,
mais trop tard, son père aura sombré dans l’inconscience.
Goriot meurt sans avoir revu celles à qui il a tout
sacrifié.
La narrateur a montré aussi la sollicitude d’Eugène auprès
de l’agonisant, son dévouement, sa fidélité envers
ce vieil homme, qu’il soigne et veille avec constance, tout imprégné encore
des valeurs affectives de sa famille.
Cette dernière page du roman raconte la brève
cérémonie
funèbre du malheureux Père Goriot. Elle fournit les derniers éléments
nécessaires au dénouement : les thèmes essentiels
de l’œuvre, abandon du père et ambition exacerbée
de Rastignac, s’y trouvent liés l’un a l’autre
et traités avec le maximum d’intensité. Un double
itinéraire s’achève, celui d’une vie de dévouement
man récompensée pour le père, et celui d’une éducation
pour Eugène. Le commentaire envisagera successivement les deux
parties du texte, l’une consacrée au disparu et l’autre à Rastignac. I/
Goriot : les funérailles d’un pauvre
Ces funérailles se déroulent sous le triple signe
de l’abandon, de la précipitation et de la contrainte
d’argent.
L’abandon du père par les filles sa solitude près
la mort comme dans l’agonie, sont perceptibles à travers
plusieurs expressions : « Il n’y avait qu’une seul
voiture de deuil… Il n’y a point de suite… deux
voitures armoriées mais vides ». On remarquera l’alliance
de ces deux termes, « armoriées mais vides », qui
marque la noblesse du titre alliée à l’absence
de sentiments : le cœur des filles est vide comme les voitures.
Socialement, les apparences sont sauves, les filles sont représentées
aussi par leurs domestiques, « les gens de ses filles ».
Leur absence porte la triste confirmation d’un abandon perpétré dès
longtemps pour les raisons de prestige social, le père ancien
commerçant, et de surcroît ruiné, étant
une compagnie peu distinguée.
La précipitation, la hâte d’en finir sont manifestes à travers
un lexique temporel qui souligne de façon réitérée
le caractère expéditif de ces funérailles de pauvre. Toutes
les interventions du clergé sont parcimonieusement chronométrées
: « Le service dura vingt minutes… Nous pouvons aller vite… il
est cinq heures et demie… A six heures, le Père Goriot… ».
Enfin, tous disparaissent « aussitôt que fut dite la courte prière… ».Cette
impression de funérailles au pas de course est accentuée par
la notation dépouillée des faits, qui sont dits brièvement,
dans leur nudité, sans commentaire. Toute une série de verbes
au passé simple établit la succession nue et banale des évènements
: « Les deux prêtres… vinrent et donnèrent,… les
gens du clergé chantèrent,… deux voitures armoriées
mais vides se présentèrent et suivirent… le corps du Père
Goriot fut descendu… ». La structure de la phrase suggère
même un escamotage de la descente dans la fosse, cet acte essentiel traité en
quelques mots étant aussitôt supplanté par la débandade
de tous : « A six heures, le corps du Père Goriot fut descendu
dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui
disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière
due au bonhomme pour l’argent de l’étudiant ».Vous
aurez noté, dans cette ample période, la disproportion entre
la partie très brève consacrée au défunt, oublié sitôt
après le mot « fosse », et la fuite des assistants longuement évoquée.
La contrainte de l’argent a été dominante tout au long
du roman ; elle est rappelée ici dans un registre lexical très
insistant, et elle s’exerce jusqu’au bord de la tombe : à l’église,
Goriot obtient « tout ce qu’on peut avoir pour soixante-dix francs »,
car « le religion n’est pas assez riche pour payer gratis ».
Au cimetière, le clergé mesure son temps sur « l’argent
de l’étudiant ». Dans la fosse même, « l’un
des fossoyeurs lui demanda un pourboire ». Alors « Eugène
fut forcé d’emprunter vingt sous à Christophe ».
L’argent toujours : jusqu’au bout de la vie, et dans la mort même,
sans argent on n’a rien. Il conditionne aussi l’intervention du
clergé, qui est assimilée à une prestation de service
exactement tarifiée.
II/
Rastignac : l’achèvement d’un itinéraire
En un court moment, et en quelques phrases, le deuil dans le cœur d’Eugène
est supplanté par le désir de parvenir.
L’adieu au passé est suscité par le choc
des vingt sous qu’il n’a pas et qui agissent sur Eugène
comme un déclic révélateur de l’égoïsme
social : « Ce fait si léger en lui-même détermina
chez Rastignac un accès d’horrible tristesse ».
Il prend alors une conscience plus aiguë que jamais de son
dénuement personnel. Le jeune homme d’autrefois meurt à ce
moment : le spectacle de la pauvreté entraîne la révolte,
le refus de se laisser réduire soi-même à l’état
d’un Goriot. Ici, Eugène pleure sur un mort qui est
aussi l’adolescent d’hier, un garçon honnête
et pauvre, auquel il dit adieu. La scène est réussie
sur le plan poétique : le crépuscule de la journée,
le déclin de la saison, la mort du père et la fin
des illusions, tout cela est dans le m ême tonalité triste.
Le passage du passé à l’avenir est instantané chez
rastignac. Il ne reste pas longtemps prisonnier de sa tristesse, il trouve
vite en lui une détermination nouvelle : « Il se croisa les bras,
contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta ». Le
passage de la tombe où gît la victime vers les nuages, ce mouvement
d’ascension du regard, marque le retour à la vie, le recommencement
de l’espérance, une deuxième naissance. Plongé dans
ses méditations, concentré sur sa pensée, Eugène
est devenu un autre homme ; ce court début de phrase, « Il se
croisa les bras, regarda les nuages… », marque la détermination
et la foi dans l’avenir.
Paris apparaît alors comme objet de désir. L’espérance
retrouvée, c’est la fascination du Paris élégant,
perçu comme ne proie désirable. Il faut faire l’analyse
précise de l’avant-dernier paragraphe où chaque terme montre
les séductions de ce monde sous le regard d’un homme jeune. La
sensualité de paris est dans « tortueusement couché »,
comme dans une pose de courtisane. L’éclat des fêtes est
celui d’une ville où « commençaient à briller
les lumières », qui annoncent les dîners, les bals de la
nuit. La richesse fascine Rastignac, il voit les seuls beaux quartiers, « là où vivait
ce beau monde ». Enfin, comme prolongement de tout ce spectacle significatif, émerge
le désir réaffirmé de participer au festin, de jouir des
douceurs offertes, « un regard qui semblait par avance en pomper le miel »,
qui dit l’appétit sensuel de savourer, d’avaler à longs
traits.
La volonté exacerbée de la conquête s’énonce
de façon concentré dans la fameuse apostrophe à la capitale
: « A nous deux maintenant! ». Par là, l’ambitieux
affirme sa volonté de prendre possession de tout ce qui s’offre
et se déploie sous son regard. Par ce langage de conquérant un
peu théâtral et emphatique, en harmonie avec la pose physique,
il marque l’assurance de la jeunesse, sa détermination, sa présomption
aussi.
Rastignac ne reste jamais longtemps au stade du désir, chez lui le passage à l’acte
est immédiat : « Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen »,
un dîner d’ambitieux plus que d’amoureux, il n’est
plus désigné par son prénom Eugène, il est Rastignac,
et cela sonne dur, pour un dîner chez une femme désignée
du nom de son mari banquier, et pas son nom d’amante, Delphine. Dîner
chez elle dès ce soir-là, c’est renoncer à la juger,
c’est accepter sa sècheresse de cœur, son ingratitude filiale,
c’est donc la traiter en instrument d’un ambition. Parvenir en
exploitant l’amour à des fins mercantiles : voilà Rastignac
qui met en pratique les conseils exposés autrefois à Eugène
par Vautrin.
Conclusion
Cette dernière page du roman est le point de rencontre des
thèmes importants : une vie s’achève, une autre
commence.
Le thème fondamental du roman, l’égoïsme
préféré et pratiqué au lieu de la générosité,
reçoit ici son ultime et capitale expression : la mort même
peut effacer le culte d’intérêt personnel dans
les cœurs indifférents. La méconnaissance des bons
et des grands sentiments a été poussée jusqu’aux
extrêmes limites : Goriot est désavoué par tus,
par ses filles absentes de son lit de mort et du cimetière,
et aussi par le jeune homme, qui certes s’est occupé de
lui affectueusement, mais qui va vivre selon les principes opposés
aux siens.
Une ultime et décisive leçon. Face à la tombe, Eugène
a scruté le fond des cœurs. La mort pathétique de père
marque la fin de son éducation. Le voilà seul désormais
face à la vie, en position d’adulte ; ses maîtres, ou ses
inspirateurs, l’ont quitté : Mme de Beauséant retirée,
Vautrin arrêté, Goriot mort. A lui de vivre en assumant un chois
déjà largement engagé et renforcé par l’épisode
final. Le destin du père Goriot aura contribué jusqu’au
bout à l’apprentissage d’Eugène.
Les deux fils de l’intrigue se rejoignent au bord de la tombe de Goriot
: celui du père dépouillé et celui du jeune homme ambitieux,
cependant que la filiation plus discrète avec Vautrin s’affirme
dans la décision d’utiliser Delphine, femme du banquier, à ses
fins d’enrichissement. Liens connexes
Biographie
de Balzac
Résumé: Le
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