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Rastignac, une année
d’initiation
Le père Goriot
De "Eugène de Rastignac" à "bachelier
en droit. "
Introduction
Ce texte s’inscrit comme le précédent
dans de présentation générale des lieux
et des personnages : la maison, surtout les deux pièces
au rez-de-chaussée, puis madame Vauquer, Michonneau,
Poiret, Couture avec Victorine, enfin Vautrin, sans oublier
les domestiques, Christophe et la grosse Sylvie. Le lecteur
connaît maintenant le cadre et chacun des habitants.
Rastignac déjà été nommé et son portrait physique
esquissé (pages 36-37) : « Eugène de Rastignac avait un visage
tout méridional, le teint blanc, des cheveux noirs, des yeux bleus ».
Les traits remarquables de cette esquisse préliminaire sont le visage,
séduisant, les manières, aristocratiques, la tournure, élégante.
C’est ici, avec ce récit/analyse des premiers
pas d’Eugène à travers
le labyrinthe de la capitale, que se dessine pour
la première
fois le thème important de l’apprentissage ; le texte place
Eugène en position protagoniste et montre sa sensible influence
d’une année à Paris sur sa sensibilité, sa
morale, sa compréhension de la société. Le commentaire
s’ attachera à cerner
son évolution.
I/
L’ordre de la composition
Comment a-t-il ordonné les éléments de cette
personnalité ? Après une phrase d’annonce qui
lui donne le ton, « Voilà un fameux gaillard »,
la construction se développe en trois temps :
- quelques aspects physiques d’abord : « Entre ces deux personnages… ne
déplaisait point »;
- puis viennent les traits marquants de la personnalité : « Il était
obligeant… tous els sentiments »;
- enfin, les habitudes de vie : « Ses mœurs consistaient… au
dessert ».
Donc trois angles d’observation ont été choisis, trois approches
tout à fait logiques et bien propres à faire le tour du personnage
: le physique, la personnalité, les occupations.
II/
La puissance corporelle
Vautrin est d’abord un homme impressionnant par son apparence physique,
qui rend immédiatement perceptible sa force et laisse deviner un passé intensément
vécu.
La force du personnage est manifeste dès l’expression
initiale, « Vautrin, l’homme de quarante ans »,
qui dénote la plénitude de la maturité, en
contraste avec Eugène et Victorine, qui sont de tendres jeunes
gens, presque adolescents, et avec Poiret et Goriot, tous deux sur
le déclin de l’âge. Le recours à une formule
populaire, « un fameux gaillard », plus expressive qu’un
longue phrase, et placée en exergue à l’orée
de la description physique, manifeste en peu de mots la vigueur,
la prestance, l’audace.
Les aspects les plus révélateurs sont énumérés
avec simplicité, en compléments directs du verbe « Il avait », à savoir « les épaules
larges… le buste…les muscles…des mains épaisses ».
La description rebondit ensuite sur « sa figure, rayée » et « sa
voix de basse-taille » (une voix intermédiaire entre le baryton
et la basse). Donc un choix et une mise en ordre; mais comment en serait-il
autrement ? Le narrateur ne doit-il pas toujours choisir un réel inépuisable,
et mettre en ordre pour être clair ? On remarquera surtout la caractérisation
des mains, redoutables comme des outils de combat, « des mains épaisses
carrées ». L’impression va jusqu’à un léger écoeurement,
une répugnance à cause de cas « bouquets de pois touffus
et d’un roux ardent », qui sont une marque de brutalité animale.
Dans la physionomie, on interprétera correctement ce signe apparent,
les rides : « sa figure rayée par des rides prématurées… »;elles
ne traduisent pas l’usure de l’âge, mais elles constituent
la marque d’une vie intense, singulière, assez forte pour avoir
laissé des traces; en somme, une face burinée de grand navigateur
de la vie.
III/
Les domaines de l’expérience
Vautrin est également un homme qui a su tirer parti de ses innombrables
expériences.
Son habileté. L’exemple de la dextérité manuelle,
la remise en état des serrures, a té visiblement choisi
en fonction de sa valeur prémonitoire très évidente.
Le rythme enlevé de la phrase, construite en juxtaposition
de participes passés, marque bien l’agilité dans
la manipulation : « Si quelque serrure allait mal, il l’avait
bientôt démontée, rafistolée, remontée… ».
Au-delà du mouvement des mains, ces mains redoutables que
l’on voit en action, on sent l’efficacité d’un
homme qui règle vite les problèmes, qui tranche, agit
et va de l’avant dans le concret et dans la vie.
Le champ de son savoir est très large; l’expérience, tel
est sans doute le trait dominant d’un personnage qui a bourlingué.
Beaucoup de naturel dans la succession des traits avec ce « Il connaissait
tout d’ailleurs », qui enchaîne sur un propos habituel à Vautrin, « Ca
me connaît ». Ensuite, le portrait avance avec une vivacité spontanée,
construit sur une énumération en cascade de substantifs pour
marquer la multiplicité de ses informations : « les vaisseaux,
la mer, la France, les affaires, les hommes, les évènements,
les lois, les hôtels et les prisons ».
Essayons de classer des divers registres de cette diverse expérience
:
- d’abord, on regroupe «les vaisseaux, le mer, la France, l’étranger » :
ces termes marquent le mouvement, Vautrin n’est pas un sédentaire,
il connaît des pays, il a couru le monde, il a mené une vie aventureuse;
- ensuite, on rapproche « les affaires, les hommes, les évènements » :
ce n’est pas un contemplatif, ni homme d’étude, mais un
praticien, il a été mêlé aux choses et aux gens,
en acteur fortement impliqué;
- enfin, on réunit « les lois, les hôtels et les prisons » :
ici apparaît son originalité, il a réfléchi à l’ordre
social, il a eu affaire avec la loi; il a vécu en itinérant,
sans domicile permanent, et peut-être a-t-il connu la prison.
IV/
Le regard
Le regard est analysé comme une voie d’accès vers l’âme;
on déchiffre l’homme Vautrin en lisant dans ses yeux, où l’on
perçoit deux choses :
La détermination, la fermeté du caractère
: « un certain regard profond plein de résolution ».
L’impression est confirmée par une observation annexe
qui marque chez le narrateur le souci du détail pour faire
vrai : « A la manière dont il lançait un jet
de salive, il annonçait un sang-froid imperturbable qui ne
devait pas le faire reculer devant un crime… ». L’imputation
paraît un peu aventureuse, établie sur un indice aussi
minime. Mais le narrateur est fort bien informé de la suite
et il nous livre une piste de lecture.
Son pouvoir scrutateur, sa pénétration, sa perspicacité : « son œil
semblait aller au fond de toutes les questions, de toutes les consciences,
de tous les sentiments », au fond des choses et des gens. Le regard constitue
pour Vautrin un moyen privilégié d’investigation des êtres,
il devinera aisément Rastignac.
V/
Les contrastes du personnage
Ce portrait nous est donné comme une énigme à déchiffrer,
il contient des indices par lesquels le narrateur prépare le dévoilement
futur du personnage.
Les indices révélateurs sont manifestes si l’on
relit le portrait à la lumière de ce que l’on
apprendra plus tard sur Vautrin, de son vrai nom Jacques Collin,
bagnard évadé travesti en bourgeois inoffensif : premier
signe d’un possible déguisement, cet homme « à favoris
peints » vise la dissimulation et non la simple coquetterie.
Sa façon d’être manifeste un effort pour adoucir
la rudesse naturelle du visage par des matières plus engageantes
: « sa figue… offrait des signes de dureté que
démentaient ses manières souples et liantes ».
Ainsi le personnage maintient-il l’équilibre rassurant.
Le même effort tend à atténuer la voix au son
grave par l’humeur gaie : « sa voie de basse-taille,
en harmonie avec sa grosse gaîté ». Enfin, rapprochons
les expressions antithétiques : « Il était obligeant
et rieur » et « ses obligés seraient morts plutôt
que de ne pas le lui rendre ». Et continuons la comparaison être
l’air et le regard : « tant, malgré son air bonhomme,
il imprimait de crainte par un certain regard profond et plein de
résolution ».
L’arrière-plan des comportements peut aussi se déchiffrer
derrière ce portrait.
De mystérieuses activités. L’homme est très occupé à l’extérieur,
le centre de gravité de sa vie se situant hors de la pension : « Ses
mœurs consistaient à sortir après le déjeuner, à revenir
pour dîner, à décamper pour toute la soirée, et à rentrer
vers minuit… ». Il est indépendant et dissimulé,
il jouit d’un statut particulier, le passe-partout dont il disposé seul
et qui constitue un moyen de liberté et de discrétion.
Une fausse bonhomie. La curieuse affection qu’il déploie à l’égard
de la propriétaire « qu’il appelait maman en la saisissant
par la taille » s’interprète comme une sage précaution
: elle est la maîtresse de maison, il capte sa bienveillance en homme
qui, se sachant de redoutables ennemis à l’extérieur, cherche
des alliés et assure sa sécurité dans le monde clos de
la pension. Il se fait aussi passer pour débonnaire et un peu niais
en courtisant la pesante veuve.
L’apparence d’un bon vivant. Par le douceur du gloria (café mêlé d’eau-de-vie),
Vautrin se pose en client généreux, il arrange les affaires de
la tenancière en consommant en simple mortel qui a sa petite faiblesse,
un bon vivant sans beaucoup de volonté se donnant comme tout le monde
une jouissance de bouche bien anodine, alors qu’en réalité ses
centres d’intérêt se situent dans une sphère bien
supérieure.
On a dons pu déceler, dans l’éclairage rétrospectif
de ce que l’on apprend plus tard, une part de calcul dans les façons
d’être de ce pensionnaire aux mœurs en apparence si ordinaires.
Conclusion
Ce passage est à la fois un portrait et un élément
romanesque important, puisqu’on y livre au lecteur des indices
sur le passé mystérieux de Vautrin, et des dignes
annonciateurs du coup de théâtre que sera son arrestation.
Vautrin est un personnage massif, visuellement présent dans
sa force. Il est doté d’une configuration physique qui
est un spectacle et que l’on gardera en mémoire pour bien « voir » la
grande scène de son arrestation. Ce portrait remplit donc une
fonction essentielle du roman, donner l’impression de la réalité.
Force physique et détermination morale. Cette présence du personnage
est accentuée par l’union de la force physique est de la détermination
morale; pour mieux le donner à voir et à sentir, le narrateur
instaure un lien très fort entre ces deux composantes. Vigueur du corps,
de l’esprit et du caractère vont de pair; l’âme de
Vautrin est bien chez elle dans le corps de Vautrin, l’une façonnée à dessein,
semble-t-il, à le mesure de l’autre.
Des indices pour le lecteur. Ce portrait révèle de la technique
du roman policier : le narrateur délivre des brides d’information,
il sème des interrogations, mais en professionnel averti de la chose
romanesque, il ne vend pas le mèche si vite, il ne dit pas tout ce qu’il
sait, il se borne à une demi confiance, juste assez pour éveiller
la curiosité en laissant entendre « qu’il avait au fond
de sa vie un mystère soigneusement enfoui ». N’est-ce pas
d’ailleurs l’usage constant dans le métier de faiseur de
romans que le distiller les informations avec la plus circonspecte parcimonie
? il faut garder le lecteur captif jusqu’au bout, et trois cents pages
d’intérêt, c’est une longue distance à tenir
!
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