|
La réussite
sociale de Rastignac
Le père Goriot
De "Le lendemain" à "d’une
façon diabolique. "
Introduction
Ayant écouté et refusé les
moyens de faire fortune que lui proposait Vautrin, Rastignac
a choisit une autre voie, celle indiquée en ces termes
pas sa cousine de Beauséant : « Voyez-vous, vous
ne serez rien ici si vous n’avez pas une femme qui s’intéresse à vous.
Il vous la faut jeune, riche, élégante » (page
115).
Grâce à elle, il a été présenté à Delphine
de Nucingen, à qui il a fait, au théâtre des Italiens, une
cour ardente. Il lui a ensuite rendu le service de la dégager d’une
dette à l’égard de son ancien amant, de Marsay, et leur intimité s’est
fortifiée des confidences qu’elle lui a faites sur ses déceptions
sentimentales et sur la situation financière étriquée où la
réduisait son mari. Leur rendez-vous suivant, évoqué dans
le présent extrait, est au bal de la duchesse de Carigliano. Rastignac
va y trouver la révélation d’une situation mondaine meilleure
encore qu’il ne l’escomptait.
Ce passage confirme l’analyse de Mme de Beauséant
sur l’influence prépondérante des femmes dans
la société.
Il montre, d’autre part, l’éblouissement de Rastignac
qui se voit déjà solidement installé dans le grand
monde.
I/
Le personnage au cœur du récit
La narration adopte le point de vue principal, rendu
omniprésent, point mire du récit et de l’attention
de tous.
Le point de vue exclusif de Rastignac organise la description
de cette scène de saloon. C’est sa perception des choses qui est
exposée. Il est présent grammaticalement dans toutes les
phrases, il est appelé Rastignac, ou Eugène, ou l’étudiant,
et plus souvent désigné sous forme de pronom sujet ou
complément.
Les effets magiques de sa filiation aristocratique
sont clairement perçus
pas Eugène ainsi placé en position centrale. Une phrase résume
ses réflexions : « l’étudiant… comprit qu’il
avait un état dans le monde en étant cousin avoué de Mme
de Beauséant ». Cette constatation se trouve concrétisée
tout au long de la soirée par de multiples expressions qui sont autant
de marques de son adoption dans le monde : « Il reçut le plus
gracieux accueil de la maréchale…tous les jeunes gens lui jetaient
des regards d’envie… il entendit vanter son bonheur…Les femmes
lui prédisaient toutes des succès… A ce bal, Rastignac
reçut plusieurs engagements…Il fut présenté par
sa cousine à quelques femmes… ». Et pour terminer, une formule
hyperbolique : « Il se vit lancé dans le plus grand et le plus
beau monde de Paris ».
Un nouvel équilibre de la relation amoureuse est établi par le
succès d’Eugène, une inversion du rapport de séduction
entre les deux amants. La suprématie passe de son côté,
il se sent en position de supériorité sociale, donc sentimentale,
il est celui « de qui elle attendait impatiemment un coup d’œil » et à qui
elle promet pour le soir un baiser refusé la veille. Notez l’intervention
de narrateur, qui apporte un commentaire tiré de son expérience
personnelle sur la satisfaction éprouvée par l’amant sûr
de lui : « Pour qui sait deviner les émotions d’une femme… ».
Eugène vogue dans l’irréel : adulé, courtisé,
il en vient à éprouver de vrais émois de jeune fille ;
il se féminise dans ses émotions, il devient comme la coqueluche
de tous : merveilleuse soirée, « il devait s’en souvenir
jusque dans ses vieux jours, comme une jeune fille se souvient du bal où elle
a eu des triomphes ». Cette dernière phrase souligne le climat
d’euphorie où baigne l’étudiant qui se voit un peu
vite en membre aristocratique.
II/
Prééminence sociale des femmes
Dans les cercles aristocratiques de la vie mondaine, les femmes et els hommes
ne jouent pas un rôle égal.
Le rôle déterminant des femmes. Plusieurs signes
viennent confirmer le propos de Mme de Beauséant sur le rôle
déterminant des protectrices. D’abord Eugène « reçut
le plus gracieux accueil de la maréchale ». Ensuite,
il est distingué en sa qualité d’amant pRésumé:
Delphine ; c’est essentiellement cela qui le pose, et non
ses capacités ou ses talents éventuels :
«
La conquête de madame de Nucingen, qu’on lui donnait
déjà, le mettait si bien en relief que tous les jeunes
gens lui jetaient des regards d’envie ». Les femmes
vont s’employer à faire sa réussite : « Les
femmes lui prédisaient toutes des succès »,
féminins ou sociaux, on ne sait, et sans doute les deux vont-ils
de pair. Car ce sont les femmes qui animent la vie sociale en leur
qualité de maîtresses de maison, ce sont elles qui
reçoivent et choisissent leurs invités : « il
fut présenté par sa cousine à quelques femmes… dont
les passaient pour être agréables ».
Cet univers féminisé convient à Eugène,
qui vit depuis l’enfance au sein d’un véritable
gynécée : sa mère, ses sœurs, la tante
Marcillac, Mme de Beauséant, Delphine, Victorine, et toutes
les admiratrices du bal, voilà un garçon comblé de
sollicitudes féminines.
Le rôle secondaire des hommes. Les seuls hommes présents sont
des « jeunes gens », pour qui l’amour est la grande affaire
de la vie. Aucune mention n’est faite des hommes d’âge mûr,
distingués par l’éminence de leurs fonctions ou l’étendue
de leur fortune. Les maris ne sont pas évoqués. Dans cet univers
féminisé, on notera aussi l’absence de tout vocabulaire à connotation
réaliste comme travail, argent, rentes, revenus, place, spéculation,
appointements, etc. Les jeunes gens sont en situation de dépendance
intellectuelle et morale par rapport aux femmes : ils remarquent Eugène
non de leur propre initiative, mais parce qu’il a été désigné à leur
attention pas les femmes en vue de la soirée ; ils ne l’envient
pas pour ses talents, mais pour le prestige qu’il tire d’une maîtresse
présumée. Il n’y a entre lui et eux aucune communication
directe.
III/
Le retour au réel
Le scepticisme railleur de Vautrin s’impose brutalement, sans aucune rupture
typographique, dans la suite immédiate de l’émerveillement
du bal : « Le lendemain, quand, au déjeuner, il raconta ses succès
au Père Goriot, devant les pensionnaires, Vautrin se prit à sourire
d’une façon diabolique. »
Cet enchaînement sans solution de continuité en dit long sur le
caractère illusoire de l’ivresse mondaine de l’étudiant.
En un sourire, Vautrin lui fait entrevoir la fragilité d’une réussite
qui n’a pas les moyens matériels de se maintenir. On lira avec profit
la suite du texte (page 206), où l’homme d’expérience établit
avec une cruelle précision le coût exorbitant pour Eugène
de la vie où il rêve de s’engager.
Conclusion
On soulignera le double intérêt du texte : c’est à la
fois un tableau de la société mondaine et un tournant
du récit. Il va conduire Eugène, fasciné par
l’éclat de cette société, à céder
aux tentations criminelles de Vautrin, qui lui permettront d’y
accéder.
Un tableau de la société mondaine. En nous peignant
le tableau d’une vie mondaine fondée sur l’inégalité tranchée
des rôles masculins et féminins, ce texte offre un intérêt
sociologique ; si l’essentiel de la vie se passe dans les salons,
si la promotion sociale dépend de l’accueil dans les grandes
maisons, et non des capacités de l’esprit ou du caractère
(on parlerait aujourd’hui de compétences professionnelles),
effectivement l’influence des femmes a pu être déterminante.
Mais on se souviendra que dans la jeunesse de Balzac, une protectrice,
Mme de Berny, a été l’amante et la conseillère
; la vision féminisée des salons dans Le père
Goriot relève donc aussi du vécu de l’auteur.
Un tournant du récit. Ce texte présente un moment clé dans
le récit : il nous décrit le point culminant de l’ascension
d’Eugène. Il paraît confirmer la vision du monde exposée
par madame de Beauséant. Mais cette situation est aussi fragile que
brillante, Eugène n’ayant pas les moyens de soutenir son train
de vie. La rechute dans les soucis d’argent, et aussi les déceptions
de l’amour, vont lui démontrer bientôt que son apprentissage
est loin d’être terminé. Liens connexes
Biographie
de Balzac
Résumé: Le
père Goriot
Commentaire composé:
Le portrait de Vautrin
Commentaire
composé: Rastignac, une année d’initiation
Commentaire
composé: Corruption des ménages:
amour et argent
Commentaire
composé: Le convoi funèbre de Goriot
|